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Commentaire de l’arrêt rendu par la Cour de cassation, troisième chambre civile le 30 novembre 2022, publiée au bulletin : Civ. 3e, 30 novembre 2022, n° 21-16.404 et de l’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022, ici.

Thèmes : Dérogation espèces protégées // Protection de la nature et de l’environnement // Installations classées // Action en responsabilité // Délit d’atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques  // Préjudice moral // Séparation des autorités administratives et judiciaires //

Cet arrêt de la Cour de cassation confirme en tous points l’arrêt de la cour d’appel et revient sur (I) la recevabilité d’une action en responsabilité pour préjudice moral subi du fait de la destruction de spécimens d’espèces protégées, (II) le respect du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires et (III) la constitution du délit d’atteinte à la conservation d’espèce animale non domestique. Sur ce dernier point l’avis du Conseil d’Etat vient corroborer la décision de la Cour de cassation et éclairer la jurisprudence concernant les dérogations espèces protégées.

Rappel des faits et procédure 

La société EDF Renouvelables France et les sociétés Parc éolien des communes d’Aumelas, Poussan, Montbazin et Villeveyrac (Hérault) ont formé un pourvoi contre l’arrêt rendu le 2 mars 2021 par la cour d’appel de Versailles.

Les sociétés Parc éolien des différentes localités détiennent chacune un parc éolien dont la supervision et la gestion ont été confiées à la société EDF renouvelables France. Certains des sites d’implantations des éoliennes ont été classés en zone de protection spéciale (« ZPS ») selon la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 sur la protection des oiseaux sauvages (« directive oiseaux »). 

Ces ZPS sont des sites naturels nécessitant une protection particulière en vue de la conservation des espèces d’oiseaux sauvages figurant à l’annexe I de la directive oiseaux présents sur le site ou du fait du rôle de ces sites en tant qu’ aires de reproduction, de mue, d’hivernage ou de zones de relais pour des oiseaux migrateurs. Parmi ces espèces d’oiseaux sauvages figurent notamment le faucon crécerellette. 

La Ligue pour la Protection des Oiseaux (« LPO ») en charge de la mise en œuvre du plan national d’action en faveur du faucon crécerellette et du suivi de l’impact de ces parcs éoliens sur cet oiseau, a signalé, en 2011 et 2012, la découverte de plusieurs cadavres au pied des installations.

En juillet 2014, des arrêtés préfectoraux ont imposé sur toutes les éoliennes, la pose d’un système de détection et d’effarouchement des oiseaux, dit « DT-Bird » afin de réduire les risques de collision.

Malgré ce dispositif de nouveaux cadavres de faucons crécerellettes ont été découverts et l’association France Nature Environnement (« FNE ») a alors entamé une action en responsabilité pour demander la réparation du préjudice moral causé par la destruction de spécimens de cette espèce protégée.

I – Conditions de recevabilité d’une action en responsabilité exercée par une association

La Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel et la recevabilité des demandes de la FNE. 

Selon l’article L 142-2 du code de l’environnement, « Les associations agréées mentionnées à l’article L. 141-2 peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement […] ainsi qu’aux textes pris pour leur application. ». 

Une association de protection de l’environnement agréée peut donc, en vertu de l’article L. 142-2 du code de l’environnement, agir en réparation en ce qui concerne des faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu’elle défend et constituant une infraction aux dispositions en vigueur. 

La cour d’appel comme la Cour de cassation précise ici que la constatation ou la constitution préalable de l’infraction n’est pas une condition de recevabilité de l’action de l’association

L’existence de faits susceptibles de revêtir une qualification pénale suffit pour que l’action de l’association soit recevable. La Cour de cassation précise en effet que la « recevabilité d’une action ne pouvant être subordonnée à la démonstration préalable de son bien-fondé ».

II – Respect du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires

La cour d’appel, confirmée par la Cour de cassation, distingue les dispositions relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement (« ICPE ») et à leur exploitation prévues aux articles L. 514-44 et suivants du code de l’environnement, des dispositions relatives aux dérogations à l’interdiction de destruction d’espèces protégées prévues à l’article L. 411-2 du code de l’environnement.

En l’espèce, la cour d’appel constatant l’absence de demande de dérogation à l’interdiction  de destruction de ces spécimens protégés et l’absence de décision de l’administration autorisant cette destruction a considéré qu’il y avait une violation de cet article L. 411-2 1° dudit code.

La Cour de cassation confirme cette décision et le fait que celle-ci respecte bien le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

En effet, les juges ont ici considéré que les arrêtés préfectoraux de juillet 2014 visant la pose du système DT-Bird n’avaient pas été pris en application de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, c’est-à-dire au regard des dérogations à l’interdiction de destruction d’espèces protégées, mais en application des articles L. 514-44 et suivants du code de l’environnement. Concrètement, la pose de ce système ne constituait pas une mesure permettant de déroger à l’interdiction de destruction des espèces protégées mais une mesure relative à l’exploitation des ICPE, en l’occurrence des éoliennes. 

Ainsi, la constatation de la violation de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, i.e. la constatation du non-respect des dérogations à l’interdiction de destruction d’espèces protégées, par le juge judiciaire ne pouvait être considérée comme une substitution de son appréciation à celle de l’autorité administrative ayant édicté ces arrêtés ou une immixtion dans l’exercice des pouvoirs reconnus à l’autorité administrative. 

Les arrêtés pris par l’autorité administrative et les constatations du juge judiciaire ne portaient pas sur les mêmes dispositions. 

III – Constitution du délit d’atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques

La Cour de cassation revient ici sur l’élément matériel et sur l’élément moral du délit d’atteinte à la conservation d’espèce animale non domestique.

A- La constitution de l’élément matériel

La Cour de cassation considère que l’atteinte portée à la conservation d’une espèce protégée résulte de la constatation de la destruction d’un spécimen de cette espèce en violation de l’interdiction posée par l’article L 411-1 1° du code de l’environnement. L’impact sur l’état de conservation de cette espèce n’est pas requis pour constater ce délit ; une atteinte aux seuls spécimens d’une espèce suffit.

De ce fait, et au regard des constats effectués – soit 28 faucons crécerellettes tués entre 2011 et 2016, la Cour de cassation confirme que la cour d’appel n’était pas tenue de caractériser davantage l’atteinte portée à la conservation de l’espèce protégée en cause. 

L’élément matériel du délit était ainsi constitué. 

L’avis du Conseil d’Etat du 9 décembre 2022 concernant la dérogation aux espèces protégées va dans ce sens en indiquant que l’examen de la nécessité d’obtenir une dérogation s’imposait aux porteurs de projet dès la présence dans la zone du projet de spécimens figurant sur les listes et ce sans égard au nombre de spécimens ou à l’état de conservation des espèces protégées présentes.

B- La constitution de l’élément moral 

Une faute d’imprudence suffit à caractériser cet élément moral. Or les propriétaires exploitants des parcs éoliens ont constaté (i) la destruction de spécimens des faucons crécerellettes et (ii) que celle-ci perdurait malgré la mise en place du système DT-BIRD et n’ont pas sollicité de dérogations à l’interdiction de destruction d’espèces protégées.

Selon la Cour de cassation, la cour d’appel en a ainsi exactement déduit la caractérisation de l’élément moral du délit d’atteinte à la conservation d’espèce animale non domestique, prévu par l’article L. 415-3 du code de l’environnement.

La position de la Cour de cassation est ici assez protectrice et ouvre le champ à des actions similaires. 

L’avis du Conseil d’Etat quant à lui semble s’écarter du principe de précaution en requérant l’obtention d’une dérogation dans les cas où « le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé ». Ainsi, l’existence même d’un risque ne justifierait pas selon le Conseil d’Etat l’obligation de requérir une dérogation. De plus, les mesures d’évitement et de réduction des atteintes devront être prises en compte et si celles-ci présentent des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces, alors une dérogation n’aura pas à être sollicitée. Il n’est donc pas question selon le Conseil d’Etat d’une prévention de tous risques causés aux espèces protégées.

Les futures décisions et actions en justice nous diront où nous nous situons en pratique en termes de protection des espèces protégées. 


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